SERENDIPITE #9 - Septembre 2023 - Faire confiance a priori

Une longue lettre qui mêle Histoire, féminisme, éducation, langage, philosophie et toutes mes autres marottes...

Sérendipité
4 min ⋅ 06/09/2023

Noeud en huit, Nantes, novembre 2022Noeud en huit, Nantes, novembre 2022

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“Pour le reste, tu sauras mieux que moi…”

C’est la semaine de la rentrée.

Peut-être avez-vous repris le chemin du travail depuis quelques jours ou quelques semaines déjà mais je pense qu, comme pour beaucoup d’entre nous, la rentrée scolaire marque pour vous aussi une forme d’accélération du temps. Comme si la vie reprenait son cours normal après une pause.

Je le confesse, j’ai toujours aimé la rentrée.

L’odeur des cahiers neufs comme la promesse de la page blanche de l’année à venir sur laquelle on pourrait tout recommencer, en mieux, en différent.

Je fais partie de ces enfants qui trouvaient les vacances trop longues, je finissais toujours par m’y ennuyer, j’attendais que la suite arrive, que la vie régulière reprenne son cours.

Je ne suis pas de celles qui ont un rapport presque sacralisé aux “vacances”. Je suis toujours admirative (et aussi dubitative) de celles qui les planifient longtemps à l’avance, qui à peine revenue de congés ont déjà posé les prochains et vivent dans l’attente de ces jours volés au salariat, au patron, au temps contraint…

Certainement parce que j’ai eu l’immense privilège dans ma vie professionnelle de ne jamais (ou si peu) devoir rendre compte de l’usage de mon temps. Et la seule fois où j’ai eu le sentiment de devoir le faire, j’ai fait un burn-out.

J’ai compris que c’était une valeur essentielle dans ma vie professionnelle comme dans ma vie personnelle. Que l’on me fasse confiance a priori sur mes horaires de travail comme sur tout le reste.

Rétrospectivement, j’ai aussi compris que c’est comme cela que je fonctionnais dans toutes mes interactions sociales.

Je suis de la team “confiance a priori”.

C’est pour cela je crois que j’aime la rentrée. Parce qu’elle est une chance de remettre les compteurs de la confiance à zéro.

Quand j’enseignais à temps plein, j’adorais découvrir mes classes.

J’avais peur, bien sûr. Peur que les élèves me jugent, peur qu’ils ne m’aiment pas (oui les profs ont peur de ça et ce serait bien de le normaliser), peur de ne pas réussir à créer le lien…

Mais j’avais surtout hâte. Hâte de leur faire confiance.

Ca peut sembler ridiculement naïf dit comme ça.

Mais je crois qu’il n’y a pas de plus cadeau pour grandir que celui de la confiance. A tous les âges de la vie.

Je n’ai jamais compris ces profs, ces managers ou ces potentiels amies qui affichent clairement qu’il faut mériter leur confiance.

La confiance ne se mérite pas. Elle se donne. Entièrement. D’autant plus quand on est dépositaire d’une forme d’autorité sur plus vulnérable, sur plus petit que soi.

Que l’on soit policière, proffe, soignante, comment créer du lien si on commence par dire à l’Autre qu’elle n’est pas suffisante telle qu’elle “est” à l’instant “t” pour que je lui fasse le cadeau de ma confiance?

Placer une espérance ferme dans l’Autre

Faire confiance, d’après l’Académie (oui des fois ils disent des choses bien…), c’est placer une espérance ferme dans l’Autre.

Dans une époque qui ne mise que sur la confiance en soi et la peur de l’Autre, dans toute son altérité, faire confiance a priori c’est forcément prendre un risque.

C’est assumer que nos vies ne dépendent pas que de nous, malgré tout ce que le capitalisme individualiste et certains courants de développement personnel veulent nous faire croire.

C’est un risque, et je comprends tout à fait que certains parcours de vie empêchent de prendre ce risque.

C’est pourquoi c’est un enjeu de philosophie politique et donc de politiques publiques dans une démocratie.

Je l’ai déjà dit dans une newsletter précédente mais je le redis parce que je crois que c’est l’enjeu de notre temps:

Qu’est-ce que la démocratie sinon le régime de l’Altérité radicale, celui qui reconnaît que l’Altérité est conflictuelle, que l’Autre ne pense pas comme moi et qui fait le pari que malgré tout, nous pouvons trouver des espaces publics dans lesquels nous entendre? Dans lesquels nous comprendre?

Et comment faire ça sans confiance a priori?

Je crois que l’été nous a encore bien mis le nez dans cette dissonance cognitive majeure de notre démocratie, qui semble répéter en boucle “la confiance n’exclut pas le contrôle”.

Et bien si, la confiance exclut le contrôle a priori.

Elle n’empêche pas la sanction a posteriori.

Faire confiance a priori crée un espace de liberté et donc de responsabilité partagée.

C’est dire à l’Autre: “Je te vois et je crois que notre relation peut être un espace dans lequel nous pourrons grandir, nous élever, nous apporter quelque chose mutuellement. Ca ne veut pas dire que tu me ressembles, encore moins que tu es parfaite, juste qu’il y a de l’espace pour la relation”.

Finalement, faire confiance a priori, c’est un acte d’Amour, d’un Amour humble et lucide. Et je crois qu’on en a toutes bien besoin.

Alors bien sûr, ça joue parfois des tours.

Mais j’aimerais quand même vous inviter, en cette rentrée, à faire l’expérience du cadeau de la confiance. Gratuitement, a priori, sans optique de retour sur investissement.

Vous faites bien confiance à votre vélo ou votre voiture pour rouler, à votre ordinateur ou votre téléphone pour communiquer, à votre réfrigérateur pour garder vos aliments au frais. Et quand ils vous lâchent, vous ne leur en voulez pas à vie. Vous ne cessez pas d’utiliser ces objets.

Pourquoi feriez-vous plus confiance aux choses qu’aux gens? Nous sommes des humains après tout, pas des machines…

Bien à vous

Anne

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Par Anne Pédron-Moinard

"Plume pédagogique", j'utilise les mots pour accoucher des idées des autres et des miennes par la même occasion.
Je lis, j'enseigne, je forme, je conseille, j'écris.
Et quand je ne fais pas tout ça, j'aime bien faire de la cuisine, contempler de beaux paysages et chanter.

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